Le Covid-19 illustre parfaitement les limites du néolibéralisme capitaliste, modèle qui court de crise en crise et qui sape les protections qui nous permettent d’y faire face entre deux épisodes orageux. Nous voilà face à une secousse supplémentaire, particulière car d’ordre sanitaire, particulière du fait de son ampleur également, mais qui fait jouer les mêmes mécanismes infernaux par lesquels la contagion se propage de manière exponentielle du fait de l’interconnexion extrême de nos sociétés mondialisées. Voilà une secousse supplémentaire qui vient tester la résilience de nos sociétés, et qui comme les autres crises suscite des appels à se serrer les coudes, à tenir bon… tout en faisant peser l’essentiel des efforts et des sacrifices sur les plus précaires et les plus fragiles.
Que les appels à l’ « union nationale » sur fond de rhétorique guerrière ne nous fassent perdre ni notre mémoire ni notre esprit critique. Il faut se souvenir que ce gouvernement et les précédents ont soigneusement entrepris de casser les services publics, en premier lieu le service hospitalier, dont toutes les personnes malades dépendent aujourd’hui pour leur survie. La baisse des budgets, la baisse du nombre de lits dans les hôpitaux, l’introduction des méthodes du « lean management » qui fait des patients des composantes interchangeables d’un « flux »… tout cela a mis à genoux le service public hospitalier qui se trouve aujourd’hui en première ligne de la crise sanitaire.
Tous les soirs, à 20h, lorsque nous applaudissons à nos fenêtres les personnels hospitaliers, rappelons-nous que leurs difficultés quotidiennes face à la crise sont amplifiées par le manque de préparation et le manque de moyens créé par ce même gouvernement qui semblait découvrir que nos vies valent effectivement plus que les profits. Rappelons-nous que ce manque de moyens a obligé le rappel des soignantes et soignants retraité.e.s, dont l’un est décédé samedi 21 mars au CHU de Lille des suites du Covid-19.
Néanmoins par-delà les discours, la métamorphose n’est peut-être qu’apparente : la loi « urgence coronavirus » prévoyait de revenir sur les droits aux congés, les 35 heures… et ce sans date limite. Face aux contestations, la ministre du Travail fut forcée de rétropédaler : les modifications « des conditions d’acquisition des congés payés » sont abandonnées, et la possibilité de modifier les dates de congés payés sera bien conditionnée à la passation d’un accord d’entreprise ou de branche sur le sujet. Piètre consolation par rapport à l’immensité de la casse créée par cette loi votée samedi soir. Le détricotage des droits sociaux se poursuit donc en toute impunité, sans qu’aucune contestation sérieuse puisse émerger.
Au lieu d’une bascule d’un modèle à l’autre, cette crise sanitaire risque bien de nous faire vivre un renforcement du modèle néolibéral capitaliste, dans une version plus sécuritaire et cette fois empreinte de récits d’ « union sacrée » et de « mobilisation générale » qui visent à masquer les oppressions et inégalités, ces dernières étant pourtant non pas effacées mais renforcées par temps de crise.
Il faut sans cesse se souvenir que nous ne sommes pas toutes et tous égales et égaux face à cette crise : les livreur·se·s ne peuvent cesser le travail sans quoi ils retrouvent sans revenu, les caissiers et caissières sont également en première ligne et bien souvent très mal protégé.e.s, les familles habitant en HLM, les enfants dont les parents ne peuvent pas les accompagner dans leur travail scolaire, les femmes battues confinées avec un conjoint violent, les exilé.e.s retenu.e.s dans les CRA, les travailleuses et travailleurs forcé.e.s de poursuivre le travail… toutes et tous sont plus touché.e.s, davantage mis en danger. Cette crise fait rejouer des inégalités préexistantes, de manière plus violente encore.
En miroir inversé de ce qui s’était passé en 2008, cette crise démarrée dans la sphère du réel a rapidement gagné la sphère financière. Dès les débuts de la crise sanitaire les bourses ont dévissé, sous l’effet double des inquiétudes liées au Covid-19 et de la chute des cours du pétrole. Une crise financière vient donc s’ajouter à la crise sanitaire, et rien ne nous indique aujourd’hui que les réponses que nos gouvernements y apporteront seront différentes de celles de 2008 : sauver les banques, imposer des mesures austéritaires, privatiser. Il est impératif que nous tracions une feuille de route pour contrer ce scénario.
Nous devons prendre ce temps que nous accorde le confinement pour poser les bases d’un « retour à la normale » qui soit aussi un tournant vers un modèle social et économique plus résilient et moins inégalitaire. Ce qui impliquera de rompre avec les fondamentaux de l’organisation globale actuelle : cette crise sanitaire est une preuve de plus que le libéralisme capitaliste est destructeur et incapable d’apporter des réponses aux destructions qu’il génère.
Respectons les mesures sanitaires, mais ne nous endormons pas et construisons le tournant post-confinement.