Par Anne Souyris, co-responsable du projet 2012 d’Europe Ecologie – Les Verts

et Marine Tondelier, Porte Parole des Jeunes Verts

Les drogues restent un sujet passionnel en France, ce qui rend les partis comme les élus particulièrement frileux quant à la réforme de nos politiques en la matière, et ce, malgré leur flagrante contre-productivité.


Notre politique française – la plus répressive d’Europe -, montre clairement ses limites. La plupart des experts reconnaissent que comme la prohibition l’alcool aux Etats-Unis dans les années 20, elle nourrit les trafics en tout genre, précarise les usagers les plus vulnérables et engendre des violences, que la simple présence de policiers sur le terrain ne permet plus d’endiguer. Dernier symptôme d’inefficacité et non le moindre : la France détient aujourd’hui un des taux records de jeunes utilisateurs de stupéfiants en Europe.

En effet, malgré l’arsenal répressif mis en oeuvre, les statistiques de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies révèlent que même interdite, la drogue est facile d’accès et les drogues dites « dures » (cocaïne, héroïne, LSD, etc.) sont plus populaires parmi les jeunes qu’auparavant. Enfin, la répression entraîne une consommation de drogue forcément clandestine, qui précarise les usagers: la diminution des moyens mis en oeuvre pour les accompagner et les aider au quotidien ont fait une fois de plus repartir leur mortalité à la hausse.

Depuis 2003, la politique gouvernementale a accordé la priorité à la criminalisation de l’usage des drogues, qui mobilise des milliers de policiers et de gendarmes, gèle des moyens très importants, coûte un temps précieux, et encombre souvent inutilement les Douanes, les tribunaux et les prisons. Une politique de la drogue pacifiée permettrait de libérer de précieux moyens de sécurité, qui pourraient être ré-affectés à d’autres types de missions. Cela est d’autant plus nécessaire que la répression se trompe de cible: on estime que les interpellations pour stupéfiants concernent dans 90% des cas les usagers de cannabis, alors que les interpellations pour trafic se montent à environ 9%.

Quant aux condamnations, elles sanctionnent essentiellement l’usage et la détention-acquisition, délits associés à l’usage. Il s’agit le plus souvent d’amendes – mais contrairement à ce qui se dit, il y a aussi des incarcérations pour usage, soit en 2008 3 111 peines fermes pour usage illicite de stupéfiant et 5 456 peines fermes pour détention-acquisition de stupéfiants soit  au total 8 567,  les incarcérations pour usage étant plus nombreuses  les incarcérations pour trafic .

Depuis plus de quarante ans, les gouvernements de droite comme de gauche ne se sont jamais détournés de la surenchère répressive comme le montrent les chiffres publiés la semaine dernière par l’OFDT : depuis 1970, la répression de l’usage a augmenté chaque année, parallèlement à l’augmentation régulière des moyens des services répressifs. Or des solutions alternatives existent! En témoignent notamment les derniers rapports d’institutions aussi réputées pour leur sérieux que l’Organisation mondiale de la Santé, l’Organisation des Nations Unies ou encore l’Institut national de la santé et de la recherche médicale.

Une expertise confrontant les données internationales a en effet démontré que la répression de l’usage et détention était inefficace pour limiter les consommations et encore moins pour le trafic. Les chiffres récemment publiés sont clairs : la plupart de nos voisins en Europe ont déjà dépénalisé l’usage, soit de toutes les drogues (Espagne, Italie, Pays Bas) soit seulement du cannabis (Allemagne, Belgique, Autriche) au cours des années 90, sans constater d’augmentation de la consommation. La même démonstration a été faite au Etats-Unis, avec les 12 états qui ont dépénalisé l’usage et la détention du cannabis pour consommation personnelle.

Ce qui est efficace en matière de protection de la santé, c’est une information fondée sur la réalité des risques, information qui réduit effectivement les risques et s’accompagne aussi souvent d’une stabilisation des consommations. Le développement des salles de consommation s’inscrit dans la logique ces politiques de santé publique. Le consensus des experts est international, et certains pays – dont la Suisse, les Pays-Bas, le Portugal l’Allemagne, la Norvège et l’Espagne -, ont déjà réagi en autorisant l’ouverture de salles de consommations, en dépénalisant la consommation de cannabis voire en mettant en oeuvre une distribution contrôlée d’héroïne dans certains cas très spécifiques et très lourds de dépendance.

Les Jeunes Verts et Europe Ecologie Les Verts insistent aujourd’hui pour que la France adopte à son tour des politiques de santé et de solidarité publiques qui soient basées non sur la peur et l’épouvantail sécuritaire mais sur l’humanisme, la lucidité et la responsabilité. Une politique des drogues efficace ne pourra faire l’économie à terme d’un changement radical d’orientation. Et nous avons le courage de dire que seule une légalisation contrôlée à tous les niveaux – autant en termes fiscal, sanitaire, qu’en terme de prévention et de sécurité pour tous -, est nécessaire, voire urgente. Cela induirait de changer les traités internationaux ? Alors engageons la réflexion pour ce changement ! Mais agissons dés aujourd’hui, localement, et appliquons des mesures capables de sauver des vies, en commençant par l’installation de salles de consommation à moindres risques !

Plus généralement, nous devons nous engager sans attendre dans un changement des pratiques, pratiques de santé publique d’une part, pratiques répressives d’autre part. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit de se donner des priorités : la protection de la santé exige le développement de politiques de santé qui intègrent la réduction des risques ; la protection de la sécurité impliquerait que la définition de priorités, la lutte contre la violence, le blanchiment et la corruption. Le développement de mafias internationales représente une réelle menace pour la démocratie : les services de police et justice doivent s’y consacrer au lieu de s’épuiser à lutter contre l’usage de la drogue. Ce détournement de moyen est inutile et contre-productif: plus les usagers sont interpellés, moins les trafiquants le sont !

Nous espérons qu’Europe Ecologie – Les Verts, parti actuellement très seul à réfléchir sans démagogie sur ce terrain très controversé, ne le restera pas longtemps : examiner les solutions que représenteraient la dépénalisation de toutes les drogues, la production locale en circuits courts de cannabis, la distribution médicalisée de certaines drogues dans des cas bien précis, et le recentrage de la répression sur le démantèlement des mafias… est aujourd’hui de l’ordre de l’urgence et de la responsabilité collective.

Aujourd’hui, nous fêtons les quarante ans d’un système législatif à bout de souffle : il est temps d’en finir, non ? De nombreuses pistes existent, et nous invitons nos responsables politiques à les explorer, plutôt que de s’obstiner dans l’impasse dans laquelle les politiques des drogues françaises se sont engagées.

Tribune publiée le 16 décembre 2010 sur LeMonde.fr est consultable ici en ligne.

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