Écologie et Tunisie : voilà deux mots qui mis ensemble reflètent une réalité complexe.
Comment faire de l’écologie une priorité politique dans un pays post-révolutionnaire pressé par une situation économique instable ? Pourtant, que se soit en termes d’accès à l’eau, de protection des espèces ou de pollution de son littoral, la Tunisie fait face à de grands défis écologiques. Durant le Forum Social Mondial, les militants écologistes tunisiens que nous avons rencontrés nous ont expliqué leur Tunisie et les grands chantiers en cours.
Retours sur ces échanges et portrait d’une Tunisie qui fait face aux défis écologiques.
La révolution et les défis environnementaux
Selon M. Abdelmajid Dabbar, militant écologiste de la première heure « L’environnement est la première victime de la révolution » et ce constat est partagé par beaucoup de Tunisiens.
Avec la révolution, les quelques règles encadrant la gestion des ressources naturelles sont tombées. Or, s’il est un domaine qui ne peut se passer d’une réglementation, c’est bien, en Tunisie comme en France, la protection de l’environnement.
Après la révolution du 14 janvier, plusieurs parcs nationaux ont ainsi vu leurs grillages forcés par des braconniers, entraînant la fuite de centaines de gazelles et le dérangement de colonies d’oiseaux migrateurs comme à Bizerte. C’est sous l’initiative de la société civile que les parcs ont pu en partie être sauvés. En effet, sous l’action de militants comme M. Abdelmajid Dabbar, et avec le soutien de l’AFD, des citoyens se sont mobilisés pour défendre le parc. Les populations locales ont progressivement pu profiter de la meilleure gestion du parc, des postes de surveillance étant même réservés à des personnes en réinsertion. En France comme en Tunisie, l’enjeu est toujours de faire prendre conscience localement de l’importance de la protection environnementale et de ses répercussions bénéfiques.
Golfe de Gabès et gaz de schistes
L’ex-dictateur Ben Ali ayant vendu les grandes entreprises gazières et pétrolières nationales, le pays contrôle difficilement ce qui est fait sur son territoire et le gouvernement actuel n’est d’ailleurs guère plus transparent. Ainsi, la société franco-britannique Perenco aurait commencé des essais d’extraction de gaz de schistes par fracturation hydraulique sur le sol tunisien en 2010 et il aura fallu attendre novembre 2012 pour le gouvernement parle publiquement de ce contrat. Derrière les gaz de schistes résonne l’argument familier de l’emploi. « Des centaines d’emplois potentiels » : tel est l’argument mis en avant dans ce pays où le taux de chômage avoisine les 17%. Selon Sabria Barka, présidente de l’association Eco-conscience, cet argument est d’autant moins recevable que les entreprises qui obtiendront les contrats d’exploitation des gaz de schistes viendront avec leurs techniciens et repartiront avec.
Un autre combat récurrent concerne le Golfe de Gabès. La consternation règne autour de cette oasis source d’une grande biodiversité qui, en dix ans, du fait de l’installation de cimenterie et de grands groupes chimique, a été complètement anéanti, à l’image de Fosse dans le sud de la France. Malgré les engagements des autorités à endiguer le phénomène, l’industrie chimique continuerait à déverser quotidiennement près de 700 tonnes de phosphogypse dans la mer, diffusant divers polluants comme les sulfates, le phosphore, le fluor et d’autres métaux et empêchant donc le développement de toute forme de vie.
« Il ne faut pas emmerder les émirs du Golfe »
Actuellement, la Tunisie fait l’objet d’une lutte d’influence entre Américains (et puissances occidentales) et pays du Golfe. La puissance des uns ou des autres n’est pas sans répercussions sur l’environnement. Finançant partis politiques (de droite) et initiatives locales (camps de réfugiés libyens, etc.), les « émirs du Golfe » ont ainsi gagné un passe-droit et jouissent d’une impunité quasi-totale lorsqu’ils se livrent à la chasse d’espèces pourtant protégées comme l’outarde et ce, malgré la mobilisation et la vigilance des militants écologistes.
« On en a marre de se connaître »
Selon Abdelmajid Dabbar, le milieu des militants écologistes tunisiens n’aurait pas beaucoup changé depuis 10 ans et tous finiraient donc « par se connaître ». Surprise pour nous : à travers ce FSM, nous avons vu une forte mobilisation. S’il manque quelque chose, c’est une structure, un lieu pour que ces forces dialogues entre elles. Car comment conclure cet article sans mentionner Emir, Dali, Mounna, Sabria, Bilel, Essia, Jeff, Olfa, Abderkarim, et tous ces jeunes que nous avons rencontrés qui, partagés entre rage et espoir, désillusion et envie d’en découdre, nous ont parlé d’écologie ? Nous avons vu des jeunes déterminés à s’approprier véritablement la problématique environnementale, outrés par l’immobilisme de la classe politique et des plus vieux ; et, lors du tour de parole de notre atelier sur la transition énergétique, sur les 7 ou 8 voix qui se sont élevées, 3 était des jeunes Tunisiens de notre âge.
Alors M. Abdelmajid, ce que nous espérons pour votre pays, c’est que ce FSM puisse rapprocher tous ces jeunes qui nous ont parlé de leur Tunisie durant des heures et avec une passion rare, toutes ces personnes mobilisées et qui en mobiliseront d’autres, pour qu’un jour vous ne reconnaissiez plus personne !
Camille DANTEC
Jeune Écologiste