La tristesse et la colère nous ne ferons jamais oublier Steve Maia Caniço, porté disparu le 21 juin dernier, lors de la fête de la musique à Nantes, et retrouvé noyé dans la Loire un mois plus tard. Il rejoint ces victimes devenues symboles d’une pratique du pouvoir qui prend la pente glissante de la répression, dont les noms évoquent des scènes de drame, des procédures judiciaires opaques, des corps et des familles mutilées. Aboubakar Fofana, Ali Ziri, Adam Traoré, Zineb Redouane, Rémi Fraisse, Zyed et Bouna, Geneviève Legay…toutes ces morts et blessures qui font irruption dans la vie des plus quotidiennes, dans des situations où les citoyen.ne.s exerçaient leurs droits -circuler dans l’espace public, manifester, faire la fête…-et qu’aucune enquête ne parviendra vraiment à expliquer.
Nous dénonçons avec force l’État qui fait usage de la violence. La stratégie policière disproportionnée du ministère de l’Intérieur est dangereuse, mortifère et exacerbe les tensions. La doctrine du maintien de l’ordre dérape de plus en plus fréquemment en réactions agressives et initiatrices de chaos de la part des dépositaires de l’autorité de l’Etat, pour qui l’usage de la brutalité gratuite se banalise. Là où on voudrait nous faire croire à des « accidents, » ce qu’emblématise bien d’ailleurs la réaction du ministre de l’Intérieur qui s’entête à nier tout lien de causalité entre l’intervention des forces de l’ordre quai Wilson le 22 juin dernier et la mort de Steve Maia Canico, il y a des conséquences désormais quasiment prévisibles de la dérive d’un système. Si rien n’est fait, il y en aura d’autres; la liste macabre s’allongera.
– Les victimes des violences policières se multiplient : morts, blessé.e.s, éborgné.e.s… Les arrestations préventives etgardes à vue suivies de comparutions immédiates se multiplient. Le journaliste David Dufresne recense dans ses enquêtes rien que pour les six mois de manifestations des gilets jaunes 315 blessures à la tête, 24 personnes éborgnées, 5 mains arrachées…L’usage d’armes de plus en plus brutales se généralise et l’encadrement de leur usage se relâche: gaz et grenades lacrymogènes, grenades de désencerclement, LBD (l’utilisation de ces deux dernières armes a triplé entre 2017 et 2018)…jusqu’aux voltigeurs disparus après la mort de Malik Oussekine en 1986, qui font leur réapparition lors des manifestations des gilets jaunes. Comme le démontrent les scènes du pont de Sully où des militant.e.s du mouvement non violent Extinction Rebellion se firent gazé sans vergogne, l’usage de ces armes relève désormais peu ou prou de l’initiative individuelle des policier.e.s sans trop de regards sur la nature de la situation et le trouble réel qu’elle causerait à « l’ordre public ». Alors qu’en Allemagne et au Royaume Uni des stratégies de désescalade permettent de préserver la sécurité des manifestant.e.s et citoyen.ne.s, l’Etat français persiste et signe dans une interprétation de plus en plus brutale et excessive du « maintien de l’ordre ».
– La situation actuelle ne peut que nous inquiéter quant à l’indépendance de la justice et à l’impunité des forces de l’ordre dans ces affaires qui se multiplient sans que jamais un policier ne soit clairement mis en cause(bien au contraire certains sont même décorés…). Leur hiérarchie et l’exécutif gouvernemental les couvre systématiquement, parfois au prix d’arrangements considérables avec la vérité -comme l’ont illustré les propos du ministre de l’Intérieur quant aux conclusions de l’enquête de l’IGPN sur la mort de Steve. Des enquêtes ont récemment pointé le manque d’indépendance d’un certain nombre de procureurs par rapport à l’exécutif; l’IGGN et l’IGPN peinent à accomplir leur fonction tant la porosité entre ces instances et les corps de la gendarmerie et de la police est grande…
L’impunité, qui alimente la violence, persistera tant que ne sera pas créé un corps d’enquêteurs entièrement indépendants.
Nous nous inquiétons fortement de cette vertigineuse escalade de violence, de cynisme et de brutalité de la part du gouvernement, et nous continuerons à la dénoncer avec autant de force. Nous continuerons de nous battre pour un monde où nous avons le droit de manifester, d’occuper l’espace public, de faire la fête, de rêver.
Nous réitérons notre profonde émotion face à ce drame, émotion faite de tristesse et de colère, et avons une pensée pour ses parents et ses proches.