> Une tribune parue sur Le Plus :
Il est des sujets qui ne sont a priori pas voués à faire la une des médias. L’appropriation des semences agricoles en est un.
Complexe, difficile à cerner, il doit pourtant aujourd’hui être mis au centre du débat car il est à la fois symbolique et symptomatique. Symptomatique d’une société qui ne raisonne qu’en terme de droit de propriété et a poussé la logique du tout juridique dans ses retranchements les plus absurdes. Symbolique du combat que mènent les puissances de l’argent, bien décidées à s’approprier l’inappropriable, et les mouvements citoyens, qui refusent que le vivant puisse être considéré comme une marchandise.
Aujourd’hui, dans de nombreux cas, un paysan français ne peut plus réutiliser d’une année sur l’autre les graines issues des plantes qu’il a lui même fait pousser sur son exploitation. Pire, il ne peut pas non plus les échanger ou les donner à d’autres agriculteurs, sous peine d’être considéré comme un dangereux contrefacteur.
Un système de privatisation du vivant
Les raisons à cela sont simples : les semences agricoles, pour être librement utilisables par les agriculteurs, doivent être répertoriées dans un catalogue au niveau français ou européen. Des milliers de variétés, pourtant cultivées de manière traditionnelle dans les champs, ne figurent pas sur ce catalogue. Dans le même temps, des entreprises y inscrivent des semences qu’elles se sont appropriées par un brevet ou un certificat d’obtention végétal.
Ce système, censé protéger l’innovation des entreprises, oblige tout paysan utilisant des semences agricoles sélectionnées à verser une redevance, quand il ne lui interdit pas tout simplement de les utiliser. Une fois de plus, le but est d’alimenter les caisses de multinationales plus soucieuses d’engranger des profits que de protéger la diversité biologique de nos cultures.
Face à une législation spolieuse, enrayons le processus
Mais ne soyons pas dupes, si les grandes entreprises semencières peuvent se livrer à ce genre de manœuvres, c’est que les législations européennes et nationales leur facilitent grandement la tâche. Dernière en date, une loi votée au Sénat en novembre visant à renforcer l’arsenal juridique français de lutte contre la contrefaçon. Ce texte pourrait obliger les services de l’État à saisir et à détruire des récoltes, sous prétexte de la présence de gènes brevetés, à la moindre injonction de l’industrie.
Nous nous devons d’enrayer ce processus. Non seulement pour des raisons éthiques relatives aux semences, fruit du travail des paysans, mais aussi pour des raisons bien plus pragmatiques. À l’heure où notre modèle agricole doit changer de cap, s’adapter au changement climatique, utiliser moins d’intrants chimiques pour respecter la vie, la préservation de la diversité des semences agricoles devient vitale. Seules des variétés adaptées et sélectionnées par les paysans eux-même pourront garantir cette diversité, là où les entreprises semencières ne proposent que des produits toujours plus homogénéisés.
Pour la libération des semences paysannes
La loi d’avenir agricole, examinée à partir du 7 janvier à l’Assemblée nationale, doit être l’occasion d’inverser la tendance. À l’issue du vote du texte anti-contrefaçon, Nicole Bricq, ministre du Commerce extérieur, a promis de revenir sur la question des semences paysannes en ce début d’année. La jeunesse est là pour lui rappeler cette promesse !
À l’occasion des débats parlementaires, nous demandons ainsi à nos député-e-s de voter des amendements permettant la libre production et utilisation des semences par les paysans, leur libre échange à des fins non-commerciales, ainsi que la redéfinition des critères permettant à des variétés d’être inscrites sur le catalogue (inscription des semences traditionnelles, exclusion des variétés hybrides et issues de la métagenèse).
Aucune multinationale n’est capable de nous offrir ce que la nature nous offre. Aucun actionnaire ne peut s’approprier le fruit d’une sélection ancestrale. Ce changement de législation est donc un enjeu de bien commun : pour permettre à l’agriculture de remplir sa mission nourricière, pour valoriser les savoir-faire des paysans, pour assurer à tous et à toutes une alimentation diversifiée qui soit adaptée aux climats, aux saisons et aux sols, l’utilisation des semences doit être et demeurer libre !
Tribune co-signée par Lucas Nédélec et Laura Chatel, secrétaires fédéraux des Jeunes écologistes.