Le 28 avril prochain aura lieu un débat sur l’usage du traçage numérique pour faire face au Covid-19. Il aura fallu une forte pression de l’opposition et de la société civile pour obtenir que ce débat soit suivi d’un vote. Comble du mépris : ce vote sera non contraignant. Les Jeunes Écologistes condamnent la légèreté de l’exécutif face à cette problématique déterminante pour nos libertés fondamentales. Nous appelons les parlementaires à se prononcer contre le traçage numérique : les réponses décidées aujourd’hui pour faire face à cette crise déterminent le « monde d’après » et nous refusons que ce monde soit celui de la surveillance généralisée.
Le Covid-19 met à mal nos libertés les plus fondamentales : notre liberté d’aller et venir, de nous rencontrer, de nous rassembler… Nous y consentons, dans un esprit de solidarité et avec la conscience qu’il s’agit d’un sacrifice temporaire nécessaire pour sauver des vies. Avec l’introduction du traçage numérique, nous franchirions un seuil, potentiellement sans retour. Déjà mis en place à Hong-Kong et en Corée du Sud, il implique la récolte massive de données personnelles, et crée un précédent inquiétant en termes d’intrusion de l’État dans la sphère privée. Il pourrait gravement altérer la nature de nos relations interpersonnelles quotidiennes, encourageant la défiance et la criminalisation des comportements individuels. Il nous emmènera vers un futur dystopique mis en œuvre en Chine, où les citoyen.ne.s sont « noté.e.s » par une application en fonction de leur conduite. Nous en voyons les prémisses en France avec les caméras de surveillance et les drones.
La légèreté avec laquelle le gouvernement traite la question du traçage numérique en dit long sur son inconscience de la gravité des enjeux. L’application Stop-Covid est déjà prête à l’emploi, et l’exécutif se serait bien passé du débat et du vote parlementaire, arrachés de force et à la dernière minute sous pression de l’opposition et de la société civile. Comme s’il s’agissait d’une mesure parmi d’autres, entre les masques et les tests. Le traçage numérique est pourtant bien loin d’être une mesure anodine : il s’agit d’un choix susceptible d’altérer en profondeur notre société.
Le traçage numérique s’inscrit dans la continuité d’un modèle qui déjà pénètre profondément le corps social : une société atomisée, numérisée à outrance, où le contrôle et la surveillance sont généralisés, où les espaces de liberté s’amenuisent et où les individualités sont réduites à des indicateurs. Les pratiques des GAFAM s’inscrivent déjà dans cette logique, et les gouvernements assujettis au capitalisme néolibéral s’en font les relais. A aucun moment les citoyennes et citoyens n’ont été consulté.e.s sur ces sujets, la généralisation du captage des données personnelles s’est imposée en court-circuitant la démocratie. Ces mêmes logiques expliquent que notre système de santé se soit éloigné de sa fonction première – prodiguer du soin à des humains – et que nos hôpitaux, déjà gouvernés par une logique de profit et de flux tendus réduisant les patients à des « flux », sont aujourd’hui en incapacité de faire face à la pandémie.
Le caractère « volontaire » de l’application StopCovid n’est qu’une façade : si le déconfinement est soumis à condition, l’incitation à se soumettre au traçage numérique pèsera considérablement – il ne s’agira aucunement pour les citoyens et citoyennes d’un choix libre. Des questions innombrables se posent : qui précisément collectera et détiendra ces données ? combien de temps ces données seront-elles stockées ? comment garantir que leur usage soit strictement délimité à l’impératif de la gestion de crise ? L’empressement de l’exécutif à boucler le débat en dit long sur le soin qu’il prendra à encadrer l’usage du traçage numérique. En sortie de crise, il entérinera avec le même empressement ces mesures liberticides dans le droit commun.
Des réponses fortes pour faire face à la pandémie existent, sans atteindre à nos libertés fondamentales et sans avoir recours au tout technologique : le dépistage massif et le port généralisé du masque, l’ouverture massive de lits en réanimation, le renforcement considérable des moyens alloués à notre système de santé… Le traçage numérique n’aurait d’ailleurs pas apparu si nécessaire si le gouvernement avait réagi à temps et pris les mesures nécessaires pour avoir à disposition assez de masques et de tests, et s’il ne s’était pas acharné à dépecer le service public de santé.
Son efficacité dans la lutte contre la pandémie n’est par ailleurs pas attestée : dans les pays où il a été mis en place, les résultats obtenus découlent aussi d’un dépistage massif, de la fourniture généralisée de masques et d’un esprit de civisme parmi les citoyen.ne.s. Le traçage numérique venait en complément d’une stratégie de gestion de crise déjà étayée et fonctionnelle. Ici, il fait figure de béquille d’une stratégie inexistante, composée de décisions à l’emporte-pièce et confuses, agrémentée d’une communication malhonnête visant surtout à masquer l’impréparation coupable du gouvernement. Ajoutons que l’usage de l’application pourrait bien créer un sentiment infondé de protection, faisant passer au second plan l’exigence de prudence et de précaution, notamment par rapport au nombre considérable de nos concitoyen.ne.s (souvent les plus fragiles et isolé.e.s) qui ne pourront pas user de l’application, tant la fracture numérique demeure grande.
Toute la population ne possède pas un smartphone, cette proportion tombe même à 44 % pour les personnes de plus de 70 ans. Si l’accès à certains lieux ne devenait plus possible, cette application serait alors profondément discriminatoire pour cette catégorie de population. La société pourrait également faire la distinction entre les « bons » (comprendre les personnes qui installent l’application) des « mauvais » citoyen.e.s et valoriser et avantager les premiers dans l’accès à certaines ressources ce qui romprait là encore le principe d’égalité.
Le prix à payer, pour un gain qui n’est donc en rien garanti, est considérable : il en va du principe d’égalité, de notre liberté et des conditions de possibilités de notre démocratie. Le choix des réponses que nous apportons à la pandémie reflète qui nous sommes et vers quelle société nous voulons aller : soyons celles et ceux qui auront choisi de rester libres et de construire un « monde d’après » humaniste.
Le choc que constitue la crise sanitaire ouvre l’espace des possibles : les tenants d’un capitalisme de surveillance tenteront de s’en emparer pour approfondir leur emprise, nous devons leur opposer un changement de paradigme -celui d’une reconstruction écologique et humaniste, respectueuse des libertés publiques et protectrice des conquis sociaux.