En 1944, le Conseil national de la Résistance (CNR), coalition des mouvements politiques opposés au régime de Vichy, rédige le programme qui deviendra la source des ordonnances des 4 et 19 octobre 1945 instituant la Sécurité sociale. Dès lors, en quelques années seulement, l’espérance de vie des français-es s’accroît avec un accès aux soins de plus en plus fiable et étendu, les allocations familiales permettent à des familles de tenir, et la retraite ne représente plus l’antichambre de la mort mais bien une suite enviable à la vie. Nous accédions à un droit de vivre avec décence, lorsque femmes et hommes furent mis à l’abri du besoin et affranchis de la charité. Le politique avait rendu systémique des actions locales d’aide aux plus précaires, pour mettre en place une structure sociale plus juste et universelle.
Aujourd’hui, l’impératif de satisfaire nos besoins les plus vitaux nous pousse à projeter plus loin notre imagination vers de nouveaux systèmes de protections sociales : l’alimentation n’est plus une ressource équitablement accessible !
En 2018, l’IPSOS et le Secours populaire publient dans Le Parisien un état des lieux de la précarité alimentaire: 21% des français-es déclarent ne pas être en mesure de s’offrir une alimentation saine leur permettant de faire trois repas par jour, et 27% déclarent ne pas avoir les moyens financiers de s’acheter quotidiennement des fruits et légumes.
Plus récemment, en 2021, 10% des bénéficiaires d’aides alimentaires déclarent y avoir eu recours en raison de la crise sanitaire, dont une augmentation de 83% des recourants étudiants. L’accès à une alimentation décente est devenu un privilège.
Au-delà de la question de la précarité alimentaire, le système actuel nous interroge également sur la protection sociale et économique des acteurs de l’alimentation.
Dans le secteur de l’agriculture, les revenus sont soumis à une variabilité imprévisible d’une année sur l’autre, avec une augmentation de l’écart des revenus selon le secteur d’activité. Le système ne prend également pas en compte le travail invisible produit par les conjoints des agriculteur-ices, en majorité des femmes. En moyenne, seul un tiers des ressources des ménages agricoles provient de l’activité agricole, le complément étant issu d’autres activités, en particulier celles du conjoint.
Pour les employés des abattoirs en France, le taux de fréquence et de gravité des accidents du travail est supérieur à la moyenne des professions, avec des risques biologiques, traumatiques, chimiques ou thermiques. Plus loin dans la chaîne de l’alimentation, ce sont 1,4 millions de tonnes de produits qui sont gaspillés durant la phase de distribution dans les commerces*. Nous laissons perpétuer un système obsolète qui épuise et exploite à la fois ses acteurs et son environnement.
Pour tenter de remédier à ces nombreux problèmes, des associations s’organisent dans la récolte et la redistribution de denrées pour soutenir les foyers les plus touchés par la précarité alimentaire. Toutefois, la prolifération de ces associations caritatives n’accentue que le triste constat d’une carence politique. En effet les gouvernements se reposent sur le travail des bénévoles et des actions sociales locales pour compenser leur inaction. Le réseau des banques alimentaires estime prendre en charge 2 millions de personnes bénéficiant d’aides, constituant un fait sociétal appelant à des mesures significatives. C’est dans ce contexte de violence touchant l’ensemble des acteurs de l’alimentation et les consommateurs que des collectifs militants ont proposé l’idée d’une Sécurité sociale de l’alimentation.
L’objectif d’une Sécurité sociale de l’Alimentation est que chaque citoyen-ne dispose d’une aide alimentaire mensuelle pérenne pour bénéficier d’une alimentation saine, variée, en quantité suffisante et locale. En permettant à tous-tes l’accès à un régime alimentaire sain et durable, la Sécurité sociale de l’alimentation s’inscrit dans le prolongement du bien-être et de la santé des francais-es. Nous souhaitons un changement de paradigme pour sortir d’une société de la charité, et où le sentiment de honte ne constituerait plus le quotidien de nombre d’entre nous.
Enfin nous souhaitons que les acteurs de la filière agroalimentaire, en particulier les agriculteurs, soient protégés économiquement, pour permettre la transformation des méthodes de culture et la sortie progressive de l’utilisation d’intrants chimiques nocifs.
La Sécurité sociale de l’Alimentation représente un projet ambitieux dans sa genèse. Structure, financement, auto-gérance… tout est encore à imaginer. Nous sommes actuellement chez les Jeunes Écologistes au siège d’une réflexion globale et détaillée pour porter ce projet le plus loin possible. Nous souhaitons engager notre force militante au profit d’une réforme qui, nous l’espérons, deviendra un jour aussi évidente que la Sécurité sociale.