Article écrit par Jonas … , jeunes écologiste de …

“Second poteau Pavard, ooooooooooooooooooooh” à la 57ème minute, ce geste magnifique, sublimé par des commentateurs survoltés, sonne comme une reprise de souffle, d’air, après deux buts successifs de l’Argentine qui faisaient peser l’ombre d’une élimination dès les huitièmes de finale sur nos Bleus. Je lève mon drapeau d’une main, renverse de la bière de l’autre, et mime avec l’aisance d’un lendemain de soirée un geste déjà mythique.

Les jours s’enchaînent, les matchs aussi, jusqu’au 15 juillet 2018. J’ai 16 ans, je suis chef d’équipe scoute, entouré d’une petite centaine d’adolescents et adolescentes dans une grange. Un vieux vidéoprojecteur projette tant bien que mal la pelouse sur un drap blanc, l’air est étouffant, on s’entasse les uns sur les autres, mais qu’est-ce qu’on est bien. A part les animateurs et animatrices, aucun d’entre nous n’a vécu la finale de 1998, celle-ci est pour nous, pour notre génération, pour marquer notre histoire. Les minutes s’égrènent, les espoirs se renforcent, l’excitation devient enivrante et puis, et puis ça y est, je rigole et je pleure en même temps, je prends dans les bras toute personne qui me tombe sous la main, le vidéoprojecteur vole. On l’a fait, ils l’ont fait, la France l’a fait. Ramenez la coupe à la maison !

Des moments sportifs, gravés dans mon esprit, il y en a beaucoup d’autres. Le premier, le coup de boule de Zizou, puis la finale de Rugby contre la Nouvelle-Zélande, les victoires des Experts ou l’or olympique pour nos Bleues au Handball… 

Et pourtant, pourtant cette année je me prive de cela. Je me prive de moments de joie, de liesse, de déceptions aussi, peut-être, le souvenir de la Suisse n’étant jamais loin. Quoi qu’il arrive aux joueurs de l’équipe de France, je me prive d’émotions, de sensations, de frissons. Alors oui c’est dur, oui nous sommes des milliers dans ce cas, des passionnés, des chauvins, des fans de ballon rond, de sport en général, alors pour nous donner du courage j’ai écrit ces quelques mots.

Les raisons pour lesquelles il faut boycotter tu les connais, je ne vais pas te les répéter, et si tu as vraiment besoin d’un rappel alors tape “Qatar + scandale” dans ton moteur de recherche, ça fera l’affaire. De toute façon, je doute d’avoir des mots assez forts pour décrire tant de morts, tant d’horreurs. 

Non, moi ce que je veux te dire ici, ce que je veux qu’on se dise ensemble, c’est pourquoi, même pour le plus passionné d’entre nous, on ne doit pas regretter, on ne doit pas hésiter, on doit boycotter alors même que “oui mais si tu boycottes, tu crois vraiment que ça va empêcher les matchs d’avoir lieu, lol” (à lire avec le ton d’un troll Twitter). 

Certes si tu laisses ta télévision éteinte, un soir de match, il y a peu de chance que Lorris se dise qu’il ferait mieux de porter ce brassard aux couleurs arc-en-ciel ou que Macron se rende compte que, finalement, ce n’est pas une si bonne idée que ça d’aller serrer des mains au-dessus d’une fosse commune d’un terrain. 

Pourtant c’est très important de boycotter et on a raison de le faire. D’abord parce qu’on refuse d’accepter les conditions de cette Coupe d’Immonde, c’est une façon de manifester notre désaccord comme une autre, à la différence que celle-là nous prive plus nous que l’évènement que l’on boycotte. 

Mais finalement, est-ce que ça nous prive tant que ça ? Très égoïstement on pourrait se dire que c’est juste pour notre bonne conscience, qu’on veut pouvoir encore supporter notre reflet dans un miroir, à défaut de supporter les Bleus, et qu’on dormira mieux ce soir. C’est ce que nos détracteurs tentent déjà de nous faire croire. Si cela peut évidemment jouer, ne nous mentons pas à nous même, je ne suis pas certain que la seule loi de la bonne conscience suffise à expliquer le boycott des fans. C’est plus que cela. 

En boycottant, nous préservons nos souvenirs, nos moments, nos frissons. 

En boycottant, nous refusons de voir se mélanger dans un même cocktail immonde les larmes d’une Marseillaise en finale aux larmes des familles des victimes.

En boycottant, nous refusons d’associer dans nos esprits les arrêts salvateurs d’Hugo Lloris  aux arrestations pour homosexualité, punie par la peine de mort.

En boycottant, nous refusons de mettre sur un pied d’égalité le vol de l’Euro par le Portugal en 2016 et les 160 vols quotidiens pour les supporters des pays frontaliers du Qatar.

En boycottant, nous refusons l’idée que l’étoile du Mondial 2022 ait le même éclat que les précédentes. 

En boycottant nous ne parviendrons peut-être pas à ramener cette Coupe à la raison, mais nous refuserons toujours de la ramener à la maison. 

Protégeons le sport, nos valeurs, nos frissons, nos émotions. Protégeons ce qui fait de nous des fans, des footix, des amateurs, des sportifs.

Boycottons. 

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