Motion adoptée par la Coordination fédérale des Jeunes Écologistes en avril 2019

La police, une affaire d’État

Trois cents Algérien·ne·s tué·e·s par la police française lors d’une manifestation à Paris le 17 octobre 1961. Quarante-sept personnes tuées suite à une intervention policière en France depuis 2007. Plus de 500 blessé·e·s dont 21 éborgné·e·s et 5 mains arrachées depuis le début du mouvement des Gilets Jaunes en novembre 2018*.

Le point commun de ces trois chiffres : les violences policières. Aussi anciennes que l’existence de cette institution, aussi diverses que les personnes et mouvements qui contestent l’Etat et l’ordre social, ces violences se matérialisent de différentes manières et dans différents contextes. Leur médiatisation importante devant l’ampleur de la répression à l’encontre du mouvement des Gilets Jaunes ne s’apparente qu’à la partie émergée de l’iceberg. Symptôme des défaillances du système politique actuel, il est impératif de les décrire pour les dénoncer, d’émettre des revendications politiques pour les combattre.

La police est une institution d’État, lequel incarne le monopole de la violence dite “légitime” pour le confier à la police, comme théorisé par Max Weber [1]. Ce dernier définit l’Etat comme “une communauté humaine qui revendique le monopole de l’usage légitime de la force physique sur un territoire donné“. Ainsi, l’État moderne est détenteur du monopole de la violence légitime, c’est d’ailleurs une de ses caractéristiques essentielles. La police a une fonction de contrôle social et de maintien de l’ordre social et étatique.

Phénomène à part entière de l’appareil étatique, les violences policières n’en reflètent pas moins un aveu de faiblesse démocratique, proportionnel à leur intensité et leur fréquence. De fait, l’État est plus violemment réactif/coercitif, parl’intermédiaire de sa police en France actuellement, lorsque sa légitimité est déjà affaiblie. L’affaire Benalla ou encore l’affaiblissement du pouvoir des États au profit de la sphère économique depuis des décennies en sont des exemples. En dernier recours pour asseoir sa domination, après les canaux de la démocratie, il ne reste à l’État que la violence policière et militaire, aveu de son impuissance à garantir des conditions de vie satisfaisantes à sa population.

1. Recrudescence et banalisation des violences policières

A. Impunité et violence : un cercle vicieux dans les corps policiers

La violence au sein de la police, bien qu’inacceptable, est devenue banale, légale et institutionnalisée. D’autant plus dans le cas des bavures, lorsque la barrière de la légalité est franchie.

Ces dernières tendent également à se banaliser, car la profession jouit d’une impunité presque totale en ce qui concerne leur traduction en sanctions judiciaires. Cette fonction de répression des bavures est censée être assurée par l’Inspection Générale de la Police Nationale, un organe de la police nationale. Les enquêtes et procédures pénales sont donc assurées en interne, un fonctionnement qui ne garantit aucunement leur indépendance et leur impartialité. Cette situation mène à la perpétuation d’un cercle vicieux d’impunité et de bavures policières. Aussi, ces bavures sont dissimulées. Les chiffres exacts à ce sujet sont aujourd’hui peu accessibles et pour le moins incomplets.

Cette impunité s’étend jusque dans la sphère privée des fonctionnaires de police. Une enquête réalisée en 2018 a mis en lumière la difficulté des femmes violentées par leurs conjoints policiers à faire valoir leurs droits, suivant parfois menaces et intimidations [3]. Notons enfin que cette violence quotidienne et banalisée n’est pas sans conséquences pour les personnes qui exercent ce métier elles-mêmes. Ce métier figure parmi les plus touchés par le nombre de suicides : le taux de suicide dans la police est en moyenne trois fois supérieurs au reste de la population française (chiffre de 2017) [2].

B. Violences systémiques et raciales dans les quartiers populaires

Les violences policières s’exercent de façon systémique dans les quartiers populaires, et plus particulièrement envers les personnes racisé·e·s. Ce rapport de l’institution policière à ces populations s’inscrit dans la continuité des anciens rapports entre forces armées et “coloniaux”, on peut donc le qualifier de néocolonial. Ces violences ont atteint des sommets dans les années 60 avec des événements marquants comme le massacre du 17 octobre 1961 où de nombreux algérien·ne·s ont trouvé la mort à Paris, ou encore lors des émeutes de 1967 en Guadeloupe au cours desquelles la police a abattu une centaine de manifestant·e·s indépendantistes non- armé·e·s. Le nombre de morts du premier n’est même pas connu avec précision et varie de quelques dizaines à plusieurs centaines tant cet évènement s’est accompagné d’une volonté de silence et d’occultation de la part du pouvoir. De nos jours, cette violence raciale se perpétue. Pire, elle est peu remise en cause. La banalisation du délit de faciès dans les contrôles de police en est une illustration.

Ces violences se matérialisent de diverses manières au quotidien. Leur spécificité est leur radicalité envers les personnes racisé·e·s. En atteste le bilan des personnes tuées ou blessées lors de contrôles ou de courses-poursuites avec la police au cours de ces dernières décennies. Malgré la grande difficulté à accéder à des informations fiables et exhaustives, on peut néanmoins citer les cas emblématiques de Zyed Benna et Bouna Traoré en 2005, d’Adama Traoré en 2016, de Théodore Luhaka (affaire Théo) en 2017, ou tout récemment de Adam Soli et Fatih Karakuss à Grenoble en 2019. A noter qu’aucun·e policier·ère n’a, à ce jour, été condamné·e pour ces exactions, à l’image de l’issue de la grande majorité des affaires de ce type. Par ailleurs, l’humiliation infligée à des lycéen·ne·s de Mantes-la-Jolie le 6 décembre 2018, dans le cadre du mouvement des lycéens contre la réforme “Parcoursup”, est un autre exemple de cette violence policière exacerbée. A la fois physiques et psychologiques, ces violences ont, là encore, démontré le traitement radical réservé aux personnes racisées et/ou issues des quartiers populaires.

Ces violences à caractère raciste émanant de l’État se retrouvent également dans le traitement inhumain et indigne réservé aux migrant·e·s par les forces de police. Matraquages, gazages, confiscation de couvertures, harcèlement, ces personnes sont traitées de cette manière pour l’unique motif de leur origine ethnique, de leur précarité et de leur nationalité. Un sujet développé plus précisément dans notre motion “Migrant·e·s : pour une réelle politique d’intégration en France”.

C. Criminalisation des mouvements sociaux et écolos

Les mouvements sociaux et écologistes ne sont pas en reste sur la question et subissent une répression intense de la part des forces de police. Des manifestations urbaines aux espaces occupés pour protester contre des GPII (Grands Projets Inutiles et Imposés), celles et ceux qui résistent à l’État sont réprimé·e·s dans la violence.

Les grenades utilisées par la police se révèlent alors très problématiques. Si les grenades offensives de type F1 ont été bannies suite à la mort de Rémi Fraisse en 2014, les grenades dites de désencerclement (DMP) et lacrymogènes instantanées (GLI-F4), porteuses d’une charge d’explosif sont toujours utilisées et causent de nombreuses mutilations (mains arrachées, éclats de plastique projetés sous la peau). A ces grenades s’ajoutent les Lanceurs de Balles de Défense (LBD) dont les tirs ont crevé des yeux à de multiples reprises. Au cours des dernières années, on peut citer quelques exemples de mouvements particulièrement réprimés par les forces de police : les manifestations contre la loi Travail, les ZAD de Notre-Dame-des-Landes contre l’aéroport, de Kolbsheim contre le GCO, de Sivens contre un barrage, de Bure contre le nucléaire, les Gilets Jaunes, etc.

Le cas de Bure est également révélateur d’une dérive judiciaire qui s’additionne à la dérive autoritaire de la police [4]. On assiste à une maximisation des peines prononcées à l’encontre des militant·e·s, à des contrôles judiciaires abusifs et des mesures d’éloignement arbitraires dont l’intensité est inédite. La spécificité du traitement judiciaire de cette lutte reflète une tendance plus générale de criminalisation des mouvements de protestation, quels qu’ils soient. Depuis les attentats terroristes de 2015, l’état d’urgence a été utilisé en France à des fins répressives à l’encontre de ces mouvements. Ces dispositions “exceptionnelles” ont d’ailleurs été définitivement inscrites dans la loi quelques mois plus tard. En définitive, c’est la restriction progressive du droit de manifester (pourtant garanti par l’article 20 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Humain et du Citoyen) et le renforcement de l’impunité des policier·e·s qui sont à l’œuvre. Cette politiquesécuritaire et autoritaire ne cesse de s’intensifier, à l’image des dispositions annoncées en 2019 par le gouvernement Philippe II, à travers la loi “anti-casseurs” (cf. communiqué des Jeunes Ecolos du 29/01/19) et l’annonce de l’intervention de l’armée de terre lors des manifestations des Gilets Jaunes. Ironie du sort, ces mesuressont présentées par celles et ceux qui les mettent en œuvre comme “une nécessité pour préserver la démocratie et les valeurs républicaines”.

Précisons également que ces restrictions des libertés fondamentales concernent aussi la liberté de la presse. Des journalistes sont régulièrement pris pour cibles par la police, entravant ainsi la liberté d’informer. Dans le même registre, des cas de confiscation de matériel de prise d’image, ou d’injonction à supprimer des prises de vue mettant en cause des actes de bavures policières ont été documentés et répertoriés dans différentes villes de France. L’évacuation militaire de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes en 2018 a atteint un paroxysme. Durant les premiers jours de l’intervention, la zone a été interdite aux journalistes. Les images officielles de la gendarmerie nationale ayant été les seules autorisées à être diffusées.

2. Désarmer la police ; endiguer les bavures

Devant ce constat consternant et alarmant de l’action des forces policières en France, nous, Jeunes Écologistes, proposons un ensemble de mesures pour endiguer ces violences étatiques intolérables. Un changement de paradigme dans l’appréhension de la fonction de police par l’État est indispensable. Et si un grand nombre de mesures peuvent être mises en place dès maintenant pour réformer le fonctionnement de l’institution, le fond de la réponse à apporter est indéniablement fait de choix politiques et idéologiques.

A. Afin d’en finir avec l’autoritarisme, pour tendre vers une police de la médiation et de l’apaisement

L’appréhension des situations de conflit et de tensions doit cesser de se faire par le biais de la provocation et de la violence. Bien que l’action de la police en Allemagne soit également imprégnée de violences, leur gestion des manifestations par la tactique de la désescalade des tensions a fait ses preuves [5]. Cet exemple parmi d’autres démontre que l’autoritarisme et la réaction par la violence ne sont pas des stratégies indépassables comme les laissent entre les Ministres de l’Intérieur français·e·s successif·ve·s. Afin de changer profondément l’institution policière française, nous réclamons :

  • La suppression de trois corps spéciaux de la police nationale : Compagnies Républicaines de Sécurité (CRS, anciens Groupes Mobiles de Réserve corps créé en 1944 par le régime de Vichy), Compagnies de Sécurisation et d’Intervention (CSI) et Brigade Anti-Criminalité (BAC). Ces trois corps de la police sont à l’origine de la majorité des violences policières et des bavures, dans les quartiers populaires ou lors des mouvements sociaux. La violence est au cœur de leur formation et de leurs pratiques.
  • L’interdiction du LBD40, autrement appelé Lanceur de Balles de Défense, dont l’usage abusif est à l’origine de nombreuses éborgnations.
  • Le bannissement des techniques d’immobilisation dites de “plaquage ventral” et de “pliage” [6], qui ont entraîné la mort à plusieurs reprises, notamment celle d’Adama Traoré.
  • La fin de l’utilisation de la stratégie du nassage des manifestant·e·s, génératrice de violences et de tensions lors des manifestations.
  • La limitation de l’usage de gaz lacrymogène aux cas d’extrêmes urgences.
  • L’interdiction de l’intervention de l’armée, dont les soldats sont exclusivement formés aux techniques de combat létales, pour les opérations de maintien de l’ordre.

B. Pour la fin de l’impunité des fonctionnaires de police, nous réclamons

  • La création d’un organe entièrement indépendant, chargé d’enquêter sur les faits commis par des agents de police et de gendarmerie.
  • La transparence totale du Ministère de l’Intérieur sur les chiffres des violences, des plaintes et des condamnations à l’encontre des fonctionnaires de police.
  • Vérité et justice pour les victimes de violences policières, pour les personnes tuées comme pour les mutilé·e·s.

C. Pour la garantie pleine et entière du droit de manifester, nous réclamons :

  • Le bannissement des chefs d’inculpation qui induisent la présomption de culpabilité, comme le délit d’association de malfaiteurs (“participation à un groupement en vue de commettre des dégradations”).
  • Le respect plein et entier de la liberté de la presse dans les manifestations, y compris pour les professionnels et auto- medias ne disposant pas de carte de presse.
  • La fin de l’obligation de déclaration en préfecture des manifestations et de la criminalisation des rassemblements non-déclarés qui en découle, en vertu du droit international [7].
  • L’interdiction du fichage des militant·e·s utilisé à des fins de surveillance et de répression.

Sources :

*Chiffres au 2 mars 2019, issus du recensement “Allô place Beauvau” initié par le journaliste David Dufresne.

[1] Weber, M. (1919). Le savant et le politique, préface de R. Aron, traduction de J. Freund

[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Suicide_en_France

[3] https://blogs.mediapart.fr/tyfanie-mahe/blog/270318/violences- conjugales-dans-la-police

[4] https://reporterre.net/A-Bure-la-justice-sert-a-reprimer-la- lutte-contre-les-dechets-nucleaires

[5] https://reporterre.net/En-Allemagne-la-police-ne-blesse-pas-les- manifestants

[6] Rapport de l’ACAT sur les violences policières : https://www.acatfrance.fr/public/rapport_violences_policieres_acat.pdf

[7] Amnesty International : https://www.amnesty.fr/focus/tout-savoir- sur-le-droit-de-manifester-en-france

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